Bref, je suis finisher du Trail de la Trans GranCanaria

Tu t’inscris d’abord et tu réfléchis ensuite comment limiter la casse

Ayant découvert d’autres îles de Canaries par le passé (La Palma et Lanzarote), j’avais toujours rêvé y faire un trail un jour ou l’autre. Le mélange de mer et de montagne m’a toujours fasciné. En vacances, l’idée de choisir entre mer et montagne le jour même à l’inspiration du moment est un luxe assez plaisant. Une île montagneuse décuple ce plaisir car il est alors possible de partir de la mer, grimper sur un sommet, admirer un paysage de montagne et de mer à 360 degrés, puis de redescendre vers la mer par le côté que l’on veut.

Quand Olivier et Laurent, 2 ultra trailers chevronnés du club ont lancé en automne l’invitation de venir courir la Trans GranCanaria, je me suis dit que c’était le moment ou jamais. Je n’avais que 3 mois pour me préparer et la dernière fois que j’avais fait du trail remontait à juillet lors du stage dans le valais Suisse. Cela datait de plusieurs mois donc et le gros morceau qui s’offrait à moi s’annonçait particulièrement indigeste. La plus longue distance que j’avais courue en montagne jusqu’alors était de 55km pour à peu près 3200m de dénivelé positif et la plus longue distance tous terrains, l’Ecotrail de Paris en 2015 avec 80km mais ce n’était même pas de la petite montagne. Ici, 3 marathons d’affilée m’attendaient et le double de D+ de ce que j’avais déjà fait. Bien conscient de mes piètres qualités de grimpeur, il était plus que temps de m’entrainer.

A force de tergiverser, je ratais la 1ère vague d’inscription début décembre et me mis sur liste d’attente. Quelques jours plus tard, je recevais un voucher pour m’inscrire dans les 15 jours. La balle était dans mon camp. Je décidai alors de me tester sur un mini we-choc (600m de D+ sur des mini-côtes près de chez moi le samedi et une partie du trail des Hivernales le lendemain). 1100m de D+ sur un we, ce n’était pas exceptionnel mais revenant de zéro, la dynamique était là et sur un coup de tête, je m’inscrivis pour la distance classique de la Trans GranCanaria. Alea jacta est !

Tu t’entraineras comme tu peux dans notre plat pays

Les we suivants furent consacrés à des entrainements trail soutenus aux 4 coins de notre beau pays :

  • 3000m de D+ et 48km dont 8x la verticale de Coo et la boucle rouge Extra-trail de Malmédy

  • 1600m de D+ et 63km avec Godinne et le Trail des Hivernales

  • 1100m de D+ et 42km avec le Trèfle à 4 feuilles à Olne

  • 1200m de D+ et 33km (4x la Boucle Verte de Godinne)

  • 2200m de D+ et 48km sur l’ExtraTrail de Stavelot + 3 x verticale de Coo

  • 1800m de D+ et 42km lors du Trail du D+ (35km à la base mais on s’est un peu perdu…)

  • 1500m de D+ et 43km (BW Lillois + Trail Magnétoise)

Le restant de la semaine, je me contentais d’un entrainement classique avec 2 ou 3 sorties dont une sur piste le mardi avec un entrainement moins poussé, trop fatigué de mes galipettes du we.

T’entourer de personnes d’expérience, tu feras

Au final, nous serons 6 du club (Pascale, Hugo, Olivier, Laurent et Stéphane) à nous attaquer à la distance reine, Bruno étant malheureusement blessé et Sébastien s'attaque à la distance marathon. Je suis entouré de coureurs d’exception (j’aime flatter mes compagnons) ayant fait leurs preuves sur des ultras de légende. Les conseils qu’ils me procurent tantôt me rassurent, tantôt rajoutent une petite dose de stress (bref, c’est comme avant un 1er accouchement avec les conseils en tout genre de tata Chantal et Mamy Jacqueline)

20kg de valise dont 15kg que pour le trail

Il faut penser à tellement de choses avant de faire sa valise : prévoir comment s’habiller au départ, que mettre dans son CamelBak, que mettre dans son sac de délestage pour la base de vie située aux 2/3 du parcours, que mettre dans son sac qui nous attend à l’arrivée. Prévoir suffisamment mais pas trop non plus car il faut porter son sac tout au long de la course. Une véritable organisation stratégique digne d’un plan de bataille. Bref, un ultra-trail se prépare aussi avec la tête. Mes copains ultra-trailers sont donc super intelligents (j’aime flatter mes copains #2)

Sieste obligatoire l’après-midi d’avant course

Le départ est donné à 23h et compte tenu du nombre d’heures pressenti pour arriver au bout de la course (max 30h) cela fait 2 journées et presque 2 nuits sans dormir. Sieste obligatoire donc l’après-midi du vendredi. Evidemment même en position horizontale, isolé (je vous voyais déjà venir)dans ma chambre, je ne trouve pas le sommeil, serais-je déjà un peu trop stressé, non peut-être !?

De crème Nok, tu te badigeonneras

Après la sieste impossible, vient le moment de s’apprêter. On me conseille de prendre une douche car je n’aurai pas l’occasion de me laver avant plusieurs heures (le trailer est propre, c’est très connu). Ensuite, vient le moment de s’enduire de crème anti-frottement partout où c’est nécessaire. Je vide donc la moitié de mon pot de Nok partout où cela peut chauffer. Je découvre alors des parties de mon anatomie jamais explorées jusqu’alors, je dois bien ressembler à une anguille prêt à me faufiler dans le moindre recoin. Un dernier repas frugal avec mes petits camarades et me voilà fin prêt pour embarquer dans le bus qui doit nous mener sur la plage du départ, au Nord de l’île à Las Palmas, la capitale de Gran Canaria.

De la fête d’avant-course, tu profiteras… ou pas

1h de trajet dans un bus étonnamment calme, chacun d’entre nous tente de trouver une nouvelle fois un vain sommeil réparateur anticipatif (faut convaincre ton cerveau de dormir pour compenser ce qu’il ne pourra plus faire pendant les 30 prochaines heures mais c’est sans compter sur le côté têtu de ton cortex, bref, ça ne marche pas des masses). A la descente du bus, contraste saisissant. Un vacarme assourdissant nous prend à la gorge (aux oreilles surtout d’ailleurs). L’animateur du départ hurle littéralement dans son micro et même si la langue hispanique est proche du français, à la différence de l’italien, elle a un côté agressif pour nos tympans à un certain nveau sonore. La foule est bigarrée entre coureurs, spectateurs et divers groupes d’animation haut en couleur. On se regarde tous et on est tous du même avis, à l’abri ! On trouve refuge dans l’intérieur d’un café pour y prendre…un thé (j’aurais bien pris une bière mais parait que c’était pas le bon plan ). Dernier passage à la toilette (le trailer prend soin de son transit intestinal) et en route vers le départ.

22h59, Las Palmas : tranquillement, tu commenceras

A 22h59, le départ est donné sur la plage. Un dernier check à mes copains et nous voilà partis pour 800m à fouler le sable, cela me rappelle la mer du Nord. A peine arrivés sur la digue, je suis déjà en nage, il fait 17 degrés et le coupe-vent n’est plus du tout nécessaire. C’est là où le trailer doit aussi montrer tous ses talents de contorsionniste. Arriver à se déshabiller en tenant son sac tout en courant sans se viander est un exercice de tous les dangers. Mais c’est mon terrain, 2km500 de plat sur le bitume, je peux m’exprimer, je peux remonter tout le peloton et montrer que je sais courir sur route. STOP. Je me calme de suite, le chemin va être long et je reste sagement avec mes camarades à une allure de sénateur. Après, la digue, on s’éloigne assez rapidement de la ville en s’aventurant dans une espèce de carrière qu’on remonte doucement. Le terrain est roulant et le serpentin formé de nos lampes frontales et de nos petits feux rouges arrières s’étire en zigzagant au gré des lacets. Après la carrière, nous nous enfonçons petit à petit dans une jungle luxuriante de plus en plus humide. Il fait nuit et encore assez doux. Les odeurs de la végétation sont enivrantes entre palmiers, bananiers, cactus et une flore remarquable (il parait que plus d’une centaine de variété de plantes n’existent que sur cette île, ce qui en fait un lieu unique pour l’étude de la flore de la planète). Je savoure ce moment et me rend compte de la chance incroyable d’être ici.

1h29, Aracas km19 : c’est pas encore le moment de sortir les maracas

Nous sommes déjà au 1er ravito dans un grand hall. Les règles sanitaires sont encore strictes et nous avons interdiction de puiser nous-même la nourriture avec nos mains d’impurs. De grandes bâches transparentes nous séparent des bénévoles à qui nous devons pointer du doigt ce que nous voulons manger. A l’aide de gants en plastic et de pinces la nourriture désignée atterrit dans nos mains On se croirait à la messe prêts à recevoir l’hostie. Mon «amen » ne sera pas entendu et je n’ai guère envie de m’éterniser dans ce lieu dépourvu de chaleur humaine.

3h57, Teror km31 : un nom prémonitoire ?

2ème ravito, je retrouve Olivier et Laurent sous la tente du ravito. Pascale a déjà filé et je ne la reverrai plus. Stephane n’est pas très loin derrière. Un petit selfie tous ensemble, je fais le plein de Pepsi, un peu d’oranges et de bananes, quelques chips et du saucisson. Le trailer sait mélanger les vitamines et le gras . Au dehors, la pluie s’est intensifiée et je suis obligé de sortir la veste imperméable respirante que j’enfile sur mon t-shirt déjà bien mouillé. Pas le temps de trainer ici, Olivier et Laurent me rattraperont certainement dans le morceau suivant, cela va grimper solidement et ce n’est pas mon truc.

A la sortie du ravito, c’est 1000m de D+ qui nous attendent et les chemins deviennent de plus en plus glissant avec la boue qui s’est invitée. Et dire qu’en m’entrainant en Belgique pendant l’hiver, on s’était dit qu’on pourrait trouver de tout aux Canaries sauf de la boue. On en avait marre de celle-ci et il était temps de nous envoler vers des lieux plus cléments, tu parles… Heureusement, j’avais mes bâtons et la boue, je m’y connais contrairement à la plupart des Espagnols qui n’en menaient pas large. Dans une descente, plusieurs d’entre eux s’accrochaient à la clôture terrorisés à l’idée de dévaler la pente sur leurs fesses. J’avoue que je rigolais intérieurement en les dépassant sur le côté.

6h53, Fontanales km42 : ça y’est je suis marathonien !

Curieusement, Olivier et Laurent ne m’ont pas rattrapé. Je profite du ravito pour enfiler un t-shirt sec et regarder mes messages sur mon GSM. Wow, c’est dingue le nombre d’encouragements déjà reçus «Premier marathon effectué. Bon courage ». « Le jour va se lever, tu vas pouvoir profiter un max des paysages ». Je ne peux pas m’empêcher de poster un message sur Facebook pour que tous ceux qui me suivent comprennent que je ne vais pas rentrer dans une partie de plaisir là. Les paysages de rêve, je ne risque pas de les voir beaucoup dans les prochains kilomètres. Arrivent enfin Olivier et Laurent qui m’annoncent qu’ils sont prêts à abandonner. Les descentes raides sur des parties bétonnés qui ont précédé ont eu raison de leurs tendons défaillants. Je comprends alors que je ne les verrai plus avant l’arrivée et qu’il est mieux que je file avant que des idées noires me submergent.

9h37, El Hornilo km54 : faut que je mange

J’avais dit que pour être trailer, il fallait réfléchir. Les ravitos, c’est bien mais cela ne suffit pas. Je lis un message de Marc, mon entraineur, «surtout ravitaille toi bien, c’est la clé, pas de fringale, force avec toi »

Depuis le départ, l’estomac joue un peu la chamade et je me rend compte que je ne mange pas assez pour tenir le coup. « Marsin » (je m’appelle comme ça quand je dois me reprendre), « ton ventre gargouille, tu as faim, il faut que tu manges ». Bièce comme je suis, j’ai mis toutes mes barres et autres produits illicites dans un sac fermé dans mon sac fermé dans un sac fermé dans un sac fermé (boucle sans fin)…. STOP. Heureusement El Hornilo et sa terrasse au vent est là. Je m’arrête pour remplir mes poches de boustifaille et mon estomac de dattes bien énergétiques et assez facile à digérer.

Sur les chemins en crête, le vent s’est intensifié et des bourrasques à plus de 150km/h commencent à semer le doute dans mon esprit : «est-ce que cela vaut la peine de continuer dans ces conditions, est-ce que le jeu en vaut la chandelle,… ». Petit à petit, des concurrents reviennent sur moi, je grimpe décidément très mal. Mon avance sur la barrière horaire commence à baisser car vu les conditions météo, je n’arrive pas à compenser en descente ce que je perds en montée. Je ferai le point au prochain ravito

13h08, Artenara km 68 : tombe la neige et l’hécatombe

Arrivé à Artenara, je cherche la personne sensée scanner mon dossard. Je tombe sur un monsieur de l’organisation qui tient un formulaire et qui veut bien prendre mes coordonnées, je ne comprends pas très bien pourquoi il me demande tout ça mais je prends bien mon temps pour qu’il ne loupe rien. A la fin, il m’annonce que le bus pour Maspalomas (l’arrivée) devra être pris à tel endroit. « Mais…mais, je ne veux pas abandonner, moi, je continue, rayer mon nom de la liste » . A l’intérieur, c’est un paysage de désolation, des dizaines de chaises sont occupées par des coureurs arrivés avant moi emmitouflés dans des couvertures de survie, certains tremblant comme des feuilles, les services d’urgence sont débordés, je n’avais jamais vu ça. Je dois me ravitailler au milieu de ce carnage, le temps n’est pas à la fête, faut que je file d’ici MAINTENANT ! La météo est toujours aussi merdique et mon esprit vacille. Je sais qu’après le prochain ravito, il y a une terrible montée et rien que l’idée de me retrouver à un sommet dans le vent glacial me terrifie. Je suis frileux de nature et je n’ai plus de vêtements de rechange si ce n’est un t-shirt sec et ma couverture de survie. Je me jure de ne me servir de ceux-ci que si je suis contraint de m’arrêter. Mais si je me tord le pied sur la crête, qui va me sauver et dans combien de temps ? Les arbres craquent sous la violence du vent, j’ai même droit à de la neige fondante. Je ne vais quand même pas mourir ici ? J’enrage car malgré la fatigue mes jambes tournent bien et mon estomac va mieux. Je sais maintenant que si les conditions météo étaient normales, je pourrais aller jusqu’au bout mais là, je vais devoir abandonner au prochain ravito car c’est devenu trop dangereux à mon sens.

Soudain, le miracle tant attendu s’opère, je croix déceler un rayon de soleil qui me chatouille. En descendant vers Tejeda, le vent perd en force et la chaleur du soleil commence vraiment à me réchauffer. Quel plaisir, les paysages se dessinent à l’horizon, c’est magnifique. Je me mets à rêver d’être finisher, je m’arrête pour prendre enfin une photo. J’aperçois au loin Roque Nublo l’apothéose de notre périple.

15h50, Tejeda km79 : des hauts et des bas, tu auras

La petite ville de Tejeda est pleine de charme, le ravito devant l’église fait un bien fou. J’enlève des couches, il fait presque trop chaud. Je savoure l’instant. Je prends bien mon temps, je sais qu’à la sortie de la ville, une forte montée m’attend vers la base de vie avec de quoi me changer et manger enfin chaud. J’en profite pour passer des coups de fil pour rassurer mes proches. « J’ai failli abandonner mais ça va mieux maintenant, je vais y arriver ». Tout à coup, un doute me traverse l’esprit. Quelle marge ai-je encore sur la barrière horaire, 55’ à Tejeda mais les organisateurs ont tablé sur une allure moyenne continue jusqu’à la base de vie quel que soit le dénivelé. Et là, ça grimpe terriblement, impossible de tenir le 4,5km/h dans ces conditions. Maintenant que le beau temps est revenu, mon avance sur la barrière horaire fond comme neige au soleil. Je n’aurai pas le temps de manger chaud si ça continue et cette base de vie qui n’arrive pas, à chaque tournant je croise les doigts pour l’apercevoir, je n’ai plus que 40’, plus que 30’, plus que 20’ pour y arriver. Enfin, voilà Garanon

18h24, Garanon km87 : courir ou mourir

Curieux, on ne nous scanne pas mais on nous applaudit, chouette, nous sommes encore en course. A la base de vie, nous pouvons récupérer notre sac de délestage posé la veille au retrait des dossards. Je vais pouvoir me changer complètement, je mets un t-shirt sec, recharge ma montre et remets toutes mes affaires trempées dans le sac qui m’attendra à Maspalomas le lendemain. C’est là qu’un des organisateurs crie en espagnol et en anglais « On ferme dans 4 minutes ». C’est une blague ou quoi ? On se regarde hébétés entre coureurs. Pas le temps de changer de chaussettes ou de chaussures, faut déguerpir. A la sortie de la base, on comprend très vite qu’on pourra se brosser pour aller manger notre dîner chaud. C’est donc le ventre criant famine qu’on s’apprête à entamer notre 3ème marathon de la journée. Et là, catastrophe, dans la précipitation, on ne s’est pas rendu compte que le scan pour la barrière horaire se faisait en sortie de la base de vie. Il est 18h24 et il fallait passer à 18h20. Certains rendent leur dossard. Avec une Française et une Scandinave, on commence à parlementer. On peut rattraper notre retard sur la 3ème partie de la course majoritairement en descente. Ouf, nous obtenons gain de cause et nous voilà repartis. Au fond de moi, je sais que la partie n’est pas encore jouée car nous avons encore une belle bosse à passer avant la descente et si l’allure à tenir ne tient pas compte de la difficulté, nous pourrions être arrêtés à la prochaine barrière horaire juste avant la longue descente. Pas le choix, va falloir courir…ou mourir. Je fais plus ample connaissance avec Sandra, la française qui prend les choses en mains en proposant de nous motiver les uns les autres.

18h46, km89 parking Roque Nublo : un tour gratuit… en moins

Arrivés au parking pour entamer une boucle de 5 à 6km pour monter sur le Roque Nublo, le clou du spectacle, des signaleurs nous font prendre un autre chemin. On s’assure bien que nous ne sommes pas mis hors course. Pas de problème, c’est normal, nous pouvons continuer. C’est le lendemain que nous apprendrons que pour des raisons de sécurité, tous les participants arrivés après 16h30 à cet endroit ont été exemptés de la boucle touristique. En guise de pénalité, on nous gratifiera d’un malus de 2h bien cher payé “Penalty 120 min : Compensación tiempo sector Roque Nublo no realizado”.

Le vent s’est effectivement levé à nouveau et pour passer du côté sud, nous avons encore quelques blocs à franchir en s’aidant parfois des mains, ça souffle mais la pluie ne réapparait pas. Quelques photos du Roque Nublo avec le coucher du soleil et nous basculons vers le grand Sud.

Il faut allumer à nouveau sa lampe frontale mais la descente, c’est mon truc, on va y arriver.

Avec la boucle du Roque Nublo, on est un peu déboussolé ne sachant pas exactement combien de km il reste à faire. Avec mes petits papiers et ma montre, je calcule et rassure tout le monde, on devrait y arriver, on est dans les temps. S’ensuit alors une espèce de voie romaine défoncée avec des précipices de part en part, il ne s’agit pas de louper son virage. Sandra a l’air d’être en forme et on commence à faire plus ample connaissance. Elle vient d’Aix-en-Provence et n’a pas du tout l’habitude de la boue et du froid. Maintenant, elle se sent plus dans son élément et cela va dépoter

Si on ne veut pas arriver à 5h du mat (heure limite), il va falloir rester toujours actifs. Je me prends à son jeu, et j’essaye de la suivre. Contre toute attente, nous apercevons des coureurs devant nous que nous allons dépasser. «On va commencer à ramasser des cadavres » me dit Sandra.

21h13, km99 Tunte : « C’est qui les champions ? C’est nous ! »

Avec les indications de kilomètres inversés (distance restant jusqu’à l’arrivée), je ne me rends pas compte que je passe la barre mythique des 100km, je suis un «centbornard » pour la 1ère fois de ma vie ! Sandra mène toujours les troupes, enfin…de troupe ,il ne reste plus qu’elle et moi, tous les autres ont décroché. D’ailleurs jusqu’à la ligne d’arrivée, cela sera pas loin de 100 coureurs que nous dépasserons sans qu’aucun ne nous rattrapera à nouveau. «C’est qui les champions » crie Sandra, « C’est nous" , dois-je répondre. Sur les quelques sections de route, je peux reprendre un peu la direction des opérations mais sur les parties techniques (90% du temps), c’est Sandra qui impose le tempo. « Je ne veux pas être la dernière femme classée finisher, d’habitude je fais des podiums dans ma catégorie de vieille » . Dans ma tête, je me dis qu’elle doit être dans la même catégorie d’âge que moi (en fait un peu plus mais chuuut, on peut pas dévoiler l’âge d’une dame) et qu’effectivement elle doit faire souvent des podiums. C’est plus tard que j’apprendrai que Sandra est championne du monde dans sa catégorie de Spartan Trail (mélange de Cross Fit et de Trail dans les dunes). C’est une guerrière, je crois que je l’aurais su, je n’aurais jamais osé la suivre

23h25, km111 Ayagaures : Elle est où cette putain de ligne d’arrivée ?

Je téléphone à mon binôme , Seb qui a fait la version distance marathon en journée. Il fête sa réussite avec les 3 copains malheureux du jour. « Pascale est devant toi, elle court encore, tu vas y arriver. Tu vas te farcir une rivière asséchée avec des grosses pierres pendant plusieurs km , impossible de courir là-dedans » . Pas grave, notre duo est transcendé, on trébuche, on repart, mon bâton se coince entre 2 pierres, je le décroche. «Toujours là ?, Oui ! ». Sur le papier, le dernier marathon devait être une longue descente continue. C’était sans compter sur les 2 «petites » bosses à devoir encore gravir. « «Mais cela ne finira jamais ? Elle est où cette putain de ligne d’arrivée ? ».

Au loin enfin, les lumières de Maspalomas, il reste 3km de sentier «roulant » , je prends le relais « «C’est qui les champions ? C’est nous ! ».

1h57, km 125 Parque Sur : « On l’a fait, bordel ! »

Tous les copains m’attendent sur les derniers mètres avant l’arrivée. Olivier, Laurent, Stephane, Seb, Bruno et Pascale arrivée comme une championne 40’ plus tôt, Hugo arrivé bien plus tôt attend dans la voiture. C’est l’ovation. Une petite pensée pour papa au ciel, we did it !

Quelques chiffres : un peu moins de 800 partants, 441 finishers, je finis 346eme en 28h57 (pénalité de 2 heures comprise). Le classement n’est donc pas glorieux mais comme m’ont dit certain, pour un 1er ultra, je me suis attaqué à du lourd et j’aurais pu passer par des étapes intermédiaires avant de me lancer là-dedans.

Que retenir de tout ça ?

C’est pas peu dire mais c’est une fameuse aventure de dingue. J’ai l’impression d’avoir fait plusieurs courses en une seule tellement les moments vécus sont différents, entre la végétation luxuriante du début de parcours, les conditions de haute montagne sur le sommets et les passages arides du sud, des changements de température du froid polaire à la douceur printanière, de la nuit noire au soleil presqu’aveuglant, du bain de foule du départ à la solitude des crêtes. J’ai eu le temps de passer par tous les états d’âme, de moments d’abandon à des moments d’euphorie. Un 1er marathon découverte, un 2ème marathon dans le dur et un 3ème marathon en mode guerrier conquérant grâce à une chouette rencontre (merci encore Sandra, sans toi j’aurais certainement mis 1h de plus et le plaisir aurait complètement disparu). Je me suis senti soutenu pendant tout ce périple, des dizaines et des dizaines de message d’encouragement de jour comme de nuit, j’ai vraiment été porté par la famille et les amis.

Après une cuite, tu penses… à la suivante

Si on pose la question de savoir si je referais un ultra….sans hésiter, la réponse est OUI bien sûr. Je ne suis pas taillé physiquement pour ce genre d’épreuve mais par contre, plus la distance augmente, plus le mental prend le dessus et ça ne me fait pas peur (sauf quand le vent souffle trop fort )

Après 2 jours, je n’avais plus aucune courbature. Evidemment, en profondeur, le physique en a pris un coup et ce n’est pas le mois prochaine que je me relancerais là-dedans. L’investissement en temps et en mental est trop conséquent et il ne faut pas abuser des bonnes choses

Je ne saurai jamais remercier à sa juste valeur ma petite famille qui m’a soutenu tant dans ma préparation (je n’ai pas beaucoup été présent ces derniers we, faut l’avouer) que pendant l’épreuve. Merci aussi à mon coach pour ses nombreux conseils avisés,

Merci à toi ami lecteur d’avoir eu la patience de me lire jusqu’au bout. J'imagine que j'en aurai dégoutté..beaucoup mais peut-être inspiré d'autres et j'en serais ravi. A très vite (ou pas) pour d’autres aventures.

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